L´arrivée des allemands à Mauregny
Le 31 août 1914, un train bondé, qui sera le dernier, part de Laon pour Paris.
Le 1
er septembre 1914, à 23 heures, les Allemands arrivent à Sissonne
[1].
Le mardi 2 septembre 1914 : "à 6 heures du soir, nous sommes prévenus qu´il faut évacuer la gare de Saint-Erme. A 6 heures et demie, le train d´évacuation arrive et emmène la moitié des employés et leurs femmes"
[2].
"Le 1
er et le 2 septembre 1914, ce sont des hordes de civils qui arrivent de Reims et de Laon et repartent vers le Nord : on leur a dit que les Anglais avaient réoccupé la Belgique "dans le dos des Allemands et que ceux-ci refluaient déjà vers le Nord"
[3].
A Mauregny, les témoins racontent :
· Henri Tanneur :
"Alcide Babled (maire de Mauregny) est parti avant l´arrivée des Allemands. On avait fait courir des bruits que : "Tous les maires des environs allaient être déportés. Il est parti avec sa famille, dans son auto".
Le soir même de l´invasion, le garde annonça : préparez-vous à être envahis, soyez calmes ! Mais, le maire était déjà parti".
· Lucie Retraint :
" Alcide Bourdin prit la charge de la commune. Le curé Allienne est parti en moto".
· Marcel Payen :
"Le curé fut aumônier pendant la guerre 14/18". Il dit aussi que "les habitants ont été surpris de l´arrivée des Allemands".
· Henri Tanneur :
"Mauregny a été envahi dans la nuit du 1er au 2 septembre 1914. La première nuit, tout le monde était parti dans les bois. Sa mère et sa petite sœur, qui était en bas âge, neuf mois, ainsi que son grand-père sont restés dans la maison.
C´est son grand-père qui ouvrit la porte aux Allemands et l´officier lui dit : Bonjour Monsieur Gozé ! Il a été sidéré : Comment, vous me connaissez vous, Allemand, ce n´est pas possible ! Si vous connaissez Monsieur (.... inaudible sur la cassette....) comme en Espagne (.... inaudible sur la cassette....) L´officier se découvrit et dit : Dites à Madame Tanneur de préparer un lit, il n´y aura personne dans la cour !" Henri Tanneur ajoute : "Il y avait même une sentinelle devant la porte". Il n´a pas été présent à cette scène, car il était parti avec son baudet dans les bois. "Les Allemands n´ont pas fait trop de dégâts, sauf aux portes qui résistaient, ils donnaient des coups de crosse dedans pour enfoncer la porte. Ils n´ont passé qu´une nuit et sont partis. Lesgens ont eu peur quand ils sont partis dans les bois et ils sont rentrés deux jours après... Ils entendaient les Allemands monter la côte...".
Pendant que les habitants rentraient au village, l´armée allemande continuait jusqu´à la Marne, la contre offensive victorieuse des Français les ramène au Chemin des Dames, et quelques unités françaises arrivent en coin jusqu´à Sissonne qui est "réoccupé le 13 septembre par des éléments français qui s´y maintinrent vingt-quatre heures. Puis, les Allemands y rentrèrent le 15, entre onze heures et midi... Le bourg est mis à sac de onze heures trente à quinze heures trente : des troupes appartenant à la garnison de Trèves pillent maisons, magasins et caves. Les tessons de bouteilles jetés sur la route par les soldats ivres devraient servir quelques jours plus tard à la Kommandatur de prétexte pour imposer à la commune une contribution de guerre de 500 000 francs à titre d´amende"
[4].
Un télégramme du 16 septembre 1914 de la 5
e armée française signale qu´un "rassemblement de troupes de toutes armes a été vu à Amifontaine, ainsi, qu´une colonne de voitures de trois kilomètres sur la route de La Malmaison - Mauregny-en-Haye, en marche vers ce dernier point"
[5].
Le 17 septembre 1914, commence à fonctionner la première Kommandantur de Sissonne
[6].
C´est dans ce contexte que Marcel Payen raconte :
"Des soldats français ont traversé le front allemand et se sont retrouvés à Sissonne, le 45 e d´infanterie de Laon, le 42e d´artillerie de La Fère, et peut-être le 4 e chasseur, éléments du 25 e corps d´armée. Les Français ont voulu regagner leur ligne, cinq sont arrivés à la Rosière, dont un sergent. Ils ont été cachés par son père. Les Allemands sont venus fouiller et ont menacé ses parents de mort pour complicité. Au bout d´un certain temps, le problème de nourriture s´est posé, il fallait prendre une décision, un caporal a réussi à rejoindre les lignes françaises (il serait revenu habiter Mauregny) les quatre autres ont été cachés à Saint-Erme chez son oncle, Monsieur Dutellier, dans un souterrain. Ils auraient été dénoncés. Les Allemands sont venus perquisitionner à la Rosière et ont trouvé des armes cachées dans le petit bois près de là. Ses père et mère ont été arrêtés, emmenés à la Kommandantur de Montaigu, puis à la Citadelle de Laon. Sa mère a été relâchée quinze jours après,
puis son père. Il était resté seul à la Rosière (il avait quatorze ans). Et malgré cela les Hussards de la mort fouillaient toujours les environs"
[7].
Le 16 septembre 1914, les Allemands sont de nouveau à Craonne. Ils arrêtent tous les blessés (soignés dans l´ambulance installée dans une cave par Madame de Renty) et tous les civils hommes valides.Ils emmenèrent ceux-ci d´abord à la Maison Rouge, où ils sont enfermés pour la nuit dans une bergerie, puis à la Citadelle de Laon. Pendant ce temps, les femmes et les enfants de Craonne restèrent terrés dans les caves pendant dix-sept jours sous les bombardements
[8].
Le 28 septembre 1914, réquisition de sept bottes de foin de Madame Ernestine Lemaire de Mauregny au "bivouac" de Festieux.
Arch. privée : Guy Pluchart
Le même jour, les Allemands décidèrent d´évacuer tout le monde à Craonne. Rassemblés à cinq heures du soir, ils partirent cent vingt-cinq personnes, femmes et enfants pour Corbeny. Le lendemain pour Berrieux et Amifontaine. Le surlendemain, ils sont renvoyés à Sainte-Croix par Berrieux, Goudelancourt, où le château de Belval était transformé en lazaret, Saint-Thomas et Aizelles. Ils arrivent à Sainte-Croix à la nuit, "mourant de faim". Ils ont dormi dans les églises des villages où ils ont fait étape. Le quatrième jour, ils partent pour Festieux, où ils sont aussi reçus à l´église. Le 2 octobre enfin, ils eurent quatre grands chariots pour charger tous les éclopés
[9]. Madame de Renty raconte :
" le convoi atteignit Mauregny à bout de forces. On n´était qu´à trois lieues de Craonne et on avait parcouru cinquante kilomètres. Le maire (NDLR : c´était en fait l´adjoint Alcide Bourdin), effrayé d´avoir à loger tout le monde, était tenté de refuser de s´en occuper. Mais, il fut touché par tant de misère et finalement tout s´arrangea. Pendant ce temps, les hommes internés à Laon, avaient été libérés et recherchaient leurs familles. Certains d´entre eux avaient gagné le camp de Sissonne où ils savaient trouver libres des logements. Ils firent venir femmes et enfants, allégeant ainsi le service demandé à la petite commune de Mauregny"
[10].
Selon les souvenirs de famille de Guy Marival, certain de ces réfugiés auraient été logés au château.
Parmi ces réfugiés, on note Madame Conard et sa fille d´Epernay, venus à Craonne le 1
er septembre 1914, qui ont subi le sort des habitants de Craonne, et se sont retrouvés à Mauregny le 2 octobre 1914. Ils y resteront jusqu´en fin 1918
[11].
Deux habitants de Craonne seront envoyés directement dans des camps en Allemagne dès le 10 octobre 1914 : Messieurs Dain et Michon
[12].
Pendant ce temps, le 30 septembre, Louis Lemaire obtient un sauf conduit de la municipalité de Mauregny signé Bourdin et visé par le Orts Kommandant de Festieux Rissberg. Il retourne à Wimy pour la rentrée scolaire du 1er octobre 1914, car il est instituteur à Wimy.
Arch. privée : Guy Pluchart
En cette fin de septembre 1914, il est difficile d´apprécier, combien d´habitants restaient à Mauregny. Les témoignages ont raconté le départ du curé (parti seul) et du maire (avec sa famille). Mais ils ne parlent pas de ceux qui sont partis, fuyant l´invasion et qui sont restés de l´autre côté de la ligne de front. En mars 1917, il y avait avant l´évacuation partielle de Mauregny par les Allemands 447 habitants recensés. Si l´y on ajoute un excédent des décès sur les naissances de 30 (dont 15 morts pour la France) et les mobilisés, on peut penser que seuls 10 ou 20 habitants avaient pu gagner la zone non occupée. Parmi eux, les époux Pathiot (à Bordeaux, voir la lettre du 03/05/1919) et Boucher (à Andresy, Seine et Oise)
[13].
Au début d´octobre 1914, commence une autre histoire que raconte Monsieur Tranquart et qui donne le ton de l´occupation qui commence
[14] :
MESSAGERS DES ALLEMANDS
Depuis le début de la guerre, le prince de Monaco n´avait reçu aucune nouvelle de sa résidence française de Marchais, occupée par les Allemands, quand, le 19 octobre, deux personnes, habitant une commune voisine, arrivèrent à Monaco, après quatre jours d´un voyage que l´autorité militaire allemande leur avait facilité à travers la Suisse et l´Italie pour qu´elles puissent rejoindre le prince. Elles apportaient plusieurs pièces d´origine allemande, qui résumaient le motif de leur voyage.
La première est une lettre du général de Bulow, commandant en chef d´armées, annonçant au maire de la commune de Sissonne que le 18 septembre, ayant rencontré des débris de verre sur la route qui mène de Sissonne à Montaigu, il rend la commune responsable de cet acte hostile et la punit par une contribution de 500.000 francs. Cette somme devra être versée à la caisse de l´étape avant le 15 octobre ou bien les mesures les plus rigoureuses seraient prises contre la région.
D´autres pièces adressées au maire de Sissonne font connaître que cette commune de 1.500 habitants, ruinés par les réquisitions et le pillage des Allemands, n´ayant pu réunir plus de 10.000 francs, la commandantur rend tout le canton solidaire en déclarant que la contribution pourrait être acquittée par des objets d´or ou argent, bijoux ou valeurs diverses.
Malgré tous les efforts, les malheureux, habitants de tout le canton réuni fournirent une somme de 125.000 francs. Alors, le général Bulow leur fit adresser la lettre qui suit :
Commandantur d´Etape.
Saint-Quentin, le 15 - 10 - 14.
A Monsieur le Maire de Sissonne, Son Excellence le commandant en chef de l´étape permet qu´une délégation de la commune de Sissonne, composée de deux se rende à Monaco afin d´obtenir de Son Altesse le prince de Monaco l´argent nécessaire à couvrir la somme de contribution. La délégation partira le 16 de ce mois. Elle recevra un laisser-passer et par auto mise à sa disposition se rendra à une gare Allemande d´où elle doit partir au train aussitôt et d´après la feuille de route, continuer le voyage à travers la Suisse sans retard. Je suis également chargé par Son Excellence de vous dire que le restant de la contribution devait être payé jusqu´au 1er novembre courant. La délégation est tenue à faire part de cette décision à Son Altesse le prince de Monaco, en ajoutant que si la somme n´est pas payée, entre autre le château du prince de Monaco et Marchais seront démolis et incendiés.
Signé : Von Krupka,
Lieutenant-colonel commandant d´étape.
Deux personnes notables du canton, MM. Carlier, juge de paix de Sissonne, et Durozoy, agriculteur au village de Lappion, conseiller d´arrondissement, furent choisis comme délégués auprès du prince de Monaco et conduits en automobile par les Allemands jusqu´à la frontière, après avoir reçu 1.000 francs pour leur voyage. Elles furent ensuite dirigées sur la Suisse et l´Italie, arrivant à Monaco après quatre jours et quatre nuits de voyage.
Le prince de Monaco remit aux délégués la lettre suivante qu´ils devaient, aussitôt rentrés, faire parvenir au général de Bulow :
Monaco, le 22 octobre 1914.
Monsieur le Général,
Pour éviter à la commune de Sissonne et à celle de Marchais le sort rigoureux dont vous les avez menacées, je m´engage sur l´honneur à remettre à Sa Majesté Guillaume II, si la guerre finit sans dommage intentionnel pour ma résidence et pour ces deux communes, ce qui manquera à la somme de 500.000 fr. dont Sissonne est imposée par vous.
Comme prince souverain, je veux traiter cette question avec le souverain qui, pendant quinze ans, m´appelait son ami et qui m´a fait chevalier de l´Aigle Noir.
Ma conscience et ma dignité s´élèvent au-dessus de la peur comme ma volonté s´élèvera au-dessus des regrets ; mais si vous détruisez le château de Marchais, qui est le foyer de la science mondiale et de la bienfaisance, si vous réservez à ce bijou archéologique et historique le sort de la cathédrale de Reims, sans que nul acte répréhensible y ait été commis, le monde jugera entre vous et moi. J´adresse à votre Excellence, l´expression de ma haute considération
ALBERT,
Prince souverain de Monaco.
Albert 1er
Prince de Monaco aco
|
Le prince ne possédant aucune garantie en sa faveur dans le marché brutal qui lui était imposé, contrairement au droit des gens, avait voulu que, si la menace barbare dont il avait été l´objet s´accomplissait, la volonté de l´empereur y fut engagée. Il fit aussitôt remettre entre les mains de l´ambassadeur d´Allemagne à Rome, une protestation qui devait être remise à l´empereur, mais l´ambassadeur déclara ne pouvoir faire autre chose que de transmettre ce document au gouvernement Allemand, parce que le prince avait manifesté des sentiments hostiles à l´Allemagne.
D´autre part, le prince de Monaco, après avoir fait mettre le gouvernement français au courant de la question, protesta entre les mains de l´ambassadeur des Etats-Unis et celles de l´ambassadeur d´Espagne en France.
Effectivement, la résidence de Marchais, propriété d´un souverain étranger, se trouvait complètement en dehors du fait reproché aux habitants d´un village voisin, fait impossible à prouver du reste, car, ainsi que tout le monde pouvait le voir dans les régions occupées par les Allemands, un grand nombre de routes étaient bordées de débris de bouteilles volées dans les caves du pays et abandonnées partout. D´autre part, aucune lutte n´avait eu lieu dans cette région et les Allemands ne se plaignaient de rien ni de personne depuis deux mois qu´ils y étaient installés. Enfin, la manifestation hostile du prince de Monaco se bornait à une dépêche envoyée au président de la République française après la destruction de la cathédrale de Reims
[15], pour joindre son jugement à celui que toutes les nations cultivées portèrent sur une pareille offense à l´Humanité entière.
Voilà pourquoi les flammes dévastatrices ont été épargnées à l´historique château de Marchais, dont les habiles réparations entreprises après la guerre ont effacé les traces qu´y avaient laissées les vandales d´outre-Rhin.
Paul TRANQUART, ancien conseiller municipal de Marchais.
[1] Rapport Dallezay - page 200
[2] J.Y. Sureau, Saint-Erme - 1984, page 148
[3] Marc Blancpain - La France du Nord sous les occupations, page 211
[4] Rapport Dallezay - page 200
[5] Les armées françaises dans la grande guerre - Tome I, 4
e volume, page 71
[6] Rapport Dallezay - page 200
[7] Synthèse de deux récits
[8] MSHHP (Mémoires de la Société Historique de Haute Picardie) , Tome XI, page 85, résumé d´un article : Le martyre des villages du Chemin des Dames
[9] MSHHP , Tome XI, page 86/7, résumé d´un article : Le martyre des villages du Chemin des Dames
[10] MSHHP , Tome XI, page 87, résumé d´un article Le martyre des villages du Chemin des Dames
[11] Arch. Munic. Mauregny - Liste du 05/07/1918
[13] Arch. Munic. Mauregny
[14] Bulletin SHSSP, Tome IX, 1926, pages 95 à 99 - BML : PHL i389
[15] Voir annexe 2.4 - L´incendie de la cathédrale de Reims du 19 septembre 1914