Composition sociale de Mauregny

Les listes Matot-Braine nous donnent un premier aperçu des différents métiers exercés.
 
19 professions sont recensées et 49 noms de famille. C´est bien insuffisant.
 
Les professions retenues sont : aubergiste, bois, boucher, boulanger, charcutier, cultivateur, entrepreneur, épicier, faïence, fromages en gros, fendeur de lattes, maçon, maréchal ferrant, menuisier, meunier, rentier, rouennerie-tissus (mercier), vins en gros.
 
Remarquons tout d´abord que plusieurs de ces métiers sont exercés par la même personne : aubergiste et épicier, cultivateur et fromager, boucher et charcutier.
 
Les plus nombreux sont les cultivateurs : 14 sont recensés. On peut regrouper les autres entre commerçants et artisans. Le nombre de commerçants (9 professions) est considérable surtout si l´on compare à la situation actuelle. Il l´est d´autant plus que l´on recense 3 épiciers-aubergistes, 1 aubergiste et 3 épiciers, 1 boucher et 1 boucher charcutier, 2 boulangers pour une population de 512 habitants § Les grands absents de cette statistique Matot-Braine sont les manouvriers. Pour compléter, nous avons donc fait des sondages dans les registres d´état civil de 1910/1911 et 1912 dont les résultats sont insérés en annexe 1.
 
Nous allons voir d´autres professions : perruquier, maître maréchal-ferrant au 29e régiment d´artillerie de Laon, tailleur d´habits, camionneur, agent de charbonnage, apiculteur, paveur, garde chasse, jardinier, cantonnier et cantonnier au chemin de fer, sage-femme, couvreur, couturière, cordonnier, garde vente, bûcheron, cercelier. Enfin, il y a au moins 33 manouvriers. Ce sont probablement des ouvriers agricoles et des ouvriers de sucrerie. Il y a une sucrerie à Saint-Erme et une à Coucy-lès-Eppes. Voir l´accident survenu à Monsieur Gaigne de Mauregny en 1911.
 
Une dernière catégorie est celle des "propriétaires". Elle est très floue, et on emploie beaucoup moins ce mot qu´au XIXe siècle. Il n´y a pas de "retraités" à cette époque, mais quelques "rentiers".
 
Les récits de nos anciens permettent de compléter ce tableau de façon vivante :
 
 
 
·      Lucie Retraint[1] :
           
"Le garde champêtre Courtefois s´occupait des lampes à pétrole de l´éclairage public. Il les retirait le matin pour les nettoyer et les remplir, et les remettait le soir".
 
"Il y avait trois couturières : Louise Aumont épouse Retraint, Louise Paruitte, et Eugènie Bourdin dite Manni.
 
"Un paveur de rues : Léon Famelart".
 
·      Marcel Payen :
           
"Avant 1914, le père Dubua allait travailler à Laon tous les jours à pieds. Douze heures de travail plus les trajets aller et retour".
           
"Le père Cyril (?) était bûcheron : il abattait des arbres à la hache. Beaucoup de gens travaillaient le bois".
           
" Le père de Louise (?) était fendeur de lattes, il faisait des cerceaux en bois pour les tonneaux, il avait un bois à la Rosière pour y prendre son bois".
           
"Le père Félicien (?) avait la spécialité de la ´tille´ spécialité d´abattre les tilleuls au moment de la sève. Il les écorçait, et trempait dans l´eau et avec les écorces faisait des liens pour lier les bottes dans les champs, il en faisait un commerce".
 
·      Henri Tanneur :
 
            "- Elisée Tanneur était cordonnier bourrelier".
"- Eugène Gozé était entrepreneur, il transportait des grumes, il avait dix chevaux".
"- Alphonse Courtefois était exploitant forestier, il avait aussi dix chevaux".
"- Un autre maréchal ferrant : Herbert.
"- le raffineur de fromages (Gozé) achetait les fromages blancs en Thiérache pour les affiner en cave à Mauregny". Un article du Journal de l´Aisne du 17 décembre 1909 raconte le vol de "cinquante fromages de maroilles" (valeur 50 F) dans le magasin à fromage de Madame Gozé.
 
·      Henri Tanneur et Lucie Retraint :
 
            "- Couturière et sage-femme Anna Grécier, veuve Paul Courtefois".
 
·      Lucie Retraint :
 
            "- Accoucheuse : Aténaïse Bourin".
 
·      Henri Tanneur :
 
            "- Fendeur de lattes : Leroy.
 
·       Marcel Payen dit que : "le boulanger Marquet Emile était surnommé Pain brûlé".
 
·      Charles Larive dit : "une grande partie de la population était occupée par les travaux agricoles et les nombreux jardins".
 
            En juillet 1918, il y avait un cercelier (Valentin Braconnier)
 
·      Marcel Payen, parle "du père de Louise qui faisait des cerceaux en bois pour les tonneaux".
 
·      Lucie Retraint parle de :Thieffine qui cerclait des tonneaux pour la maison de vins Pathiot. Ce Thieffine était surnommé "Tape autour".
 
            Elle se rappelle que Monsieur Faucheux "faisait le taxi avec sa carriole à cheval".
 
            Après ce tour d´horizon sur les professions, voyons maintenant une activité commune à tous : l´élevage. Elle est symbolisée par le pâtre communal et l´importance des prés (87 hectares sur le terroir.
 
            Quatre témoignages nous évoquent cette scène de vie bien rurale :
 
·      Charles Larive :
 
            "Tout le monde avait une vache et au Tut! Tut! Les gens lâchaient leur vache et une personne les emmenait aux communaux".
 
·      Marcel Payen :
 
            "Il y avait un vacher communal qui ramassait les vaches, car presque chaque famille avait une vache, au moins neuf sur dix. Charles Bleu avait deux chiens à vaches, et passait dans les rues avec sa trompette, et emmenait le bétail dans les marais, au Gros Trate ou à la Rosière. Après 1918, cette pratique a disparu, il n´y avait plus de cheptel".
 
·      Lucie Retraint :
 
            "Charles Bleu, pâtre communal emmenait les vaches aux communaux. Il sonnait de la corne pour avertir de son passage. Il chantait un refrain : Pon! Pon! Lachez les vaches et les cochons, laissez Charles Bleu à la maison! Cette pratique a été délaissée après la guerre de 14/18".
 
·      Henri Tanneur :
 
            "Tout le monde avait une vache pour nourrir la famille, sauf les indigents. A la sortie de l´école à 16 h00, les enfants gardaient les vaches dans les chemins. Ceux qui avaient les moyens donnaient la garde de leurs bêtes au vacher communal".
 
            Tous ces témoignages complémentaires et concordants nous montrent que les familles gardaient une certaine autonomie dans la production de la nourriture à leur usage, et cela bien que les professions se spécialisent et se diversifient. Chaque famille reste plus ou moins polyvalente.
 
·      Henri Tanneur dit :
 
"qu´il y en avait vingt-huit à trente qui possédaient un cheval". Ce qui signifie que, au moins, une partie d´entre elles, produisaient quelques céréales.
 
            Charles Larive, possédait un cheval.
 
            Madame Veuve Lemaire, avait un cheval en 1917 : elle a alors quatre-vingts ans! [2]
 
·      Henri Tanneur parle d´une :
 
"trentaine de moyennes et petites fermes", alors que Matot-Braine ne recense que quatorze cultivateurs. Nous n´avons pas de renseignements sur le nombre d´ânes, ce qui aurait complété cet aspect de l´autonomie relative des familles.
 
            Un deuxième aspect complémentaire, c´est l´importance des jardins. Il y en avait 3 ha 31 a en 1821, il y en a 10 ha 64 a en 1910. Les vergers ont diminué : 3 ha 31 a en 1821 contre 1 ha 21 a en 1910.
 
·      Henri Tanneur nous dit :
 
            "Il y avait beaucoup de jardins et de vignes avec des arbres fruitiers dedans (lieudits : Grand Vigne, Vigne-Dieu, Petit Lory). Au début de la mécanisation le grand-père d´Henri Tanneur : Léon Gozé a retrouvé des piquets de fer enfoncés dans les moissons, ce qui endommageait les lames, ce sont des faits sporadiques".
 
            "La vigne a disparu avec le phylloxéra en 1885".
 
Marcel Payen partage cette opinion. En fait la vigne, dans notre région, était déjà pratiquement disparue bien avant cette date, en tout cas, comme production commerciale. Et il est probable que l´extension considérable des jardins, malgré la baisse considérable de la population a compensé cette disparition des vignes. Comme le dit Charles Larive "une grande partie de la population était occupée par des travaux agricoles et les nombreux jardins". Marcel Payen parle aussi des nombreux jardins à la Rosière, et aussi des cerisiers, "des centaines de cerisiers"[3]. Les cerises "étaient vendues au cocassier, plusieurs races de cerises. Toutes les cerises et fruits étaient exportés en Allemagne".
 
            Aucun de ces témoignages ne parle de pommiers et de cidre, ni d´ailleurs des porcs, poules et lapins. Pourtant il reste de nombreux clapiers, poulaillers et loges à porcs [4].
 
Lucie Retraint parle de la foire du 1er décembre à la Saint-Eloi, où "il y avait un marché au petit cochon à cinq francs pièce dans la rue de la croix".
 
            Le moulin à eau fonctionnait encore avant 1914.
 
·       Marcel Payen se rappelle y avoir "porté du grain à moudre. Il y avait encore la grande roue".
 
·       Henri Tanneur rappelle que ce "moulin appartenait à Coisne-Guyot. Les gens apportaient leurs grains et payaient pour la mouture".
 
            Il y a peu de bûcherons professionnels, sans doute, la plupart des familles coupaient leur bois elles-mêmes.
 
            Au-delà de cette relative autosuffisance des familles, il y avait des cultivateurs spécialisés et plus ou moins importants.
 
·      Henri Tanneur se souvient de quelques propriétaires de chevaux :
 
Martin-Carlier Ernest 4 chevaux        
Tanneur, son père 3 chevaux
Boitelle Marcel 2 chevaux
Boitelle Henri 2 chevaux
 
Son grand-père travaillait la terre avec un "courbillon", un brabant, une charrue. Tout comme Martin Carlier il avait une lieuse, et Léon Gozé avait une faucheuse.
 
·      Marcel Payen :
 
"on cultivait le seigle et l´avoine, l´orge et le blé jusqu´au passage à niveau".
 
·      Henri Tanneur nous donne un autre aspect de la vie du village :
 
"Les indigents représentaient six grosses familles, plus de dix enfants. Il y avait une distribution de pain deux fois par semaine, c´est l´adjoint au maire qui en était chargé le jeudi et le samedi. Un jour, son grand-père eut un problème : le boulanger n´avait pas suffisamment de pain. Il a donc dû rétrécir une famille, il a choisi une famille dont l´âge des enfants était le plus élevé. Le pourcentage des indigents est de dix pour cent sur cinq cent habitants.
Les familles aisées : les demoiselles Lorain, du château, qui vivaient de leurs rentes. Elles possédaient des immeubles bâtis et non bâtis à Mauregny, une partie du château était louée à des fermiers, elles possédaient des actions des chemins de fer. Toute la Meldeuse leur appartenait, d´où elles tiraient des grumes qui en faisaient le revenu.
Les familles de Cestas et de Hautecloque qui étaient de grands propriétaires en bois[5].
           
Enfin, " peut-être Alcide Babled[6], parce qu´il avait donné du bois aux écoles pour trois feux et de l´argent au bureau de bienfaisance".
 
Les trois autres témoins rappellent que ce Babled possédait une voiture (la seule mentionnée avant 1914).
 
·       Henri Tanneur dit aussi que :
 
"les terres étaient réparties entre beaucoup de petits propriétaires, et que la répartition s´est modifiée après la guerre 14 avec la modernisation".
 
Enfin, pour compléter le tableau laissé par nos anciens, voici quelques détails de la vie courante :
 
·      Marcel Payen :
 
"dès le début de la neige, son père laissait une pelle dans la maison. Il était employé aux travaux des champs. Il concassait le seigle et l´orge et emmenait paître les deux vaches. Il allait à la source proche de la Rosière. On s´éclairait à la lampe à pétrole et à la lampe tempête. On faisait la cuisine au feu de bois dans la cheminée. Ils possédaient des ruches avant 14".
·      Charles Larive se souvient qu´il :
 
" moulait le blé dans un moulin à café pour faire de la farine (NDLR : était-ce avant 1914 ou pendant la guerre 14 ?). Il faisait le café avec de l´orge. Il allait chercher l´eau au puits".


[1] Née Lucie Marque, il faut associer sa sœur Jeanne Marque qui a également participé à évoquer de nombreux souvenirs.
[2] Voir la confiscation en 1917.
[3] Une petite exagération : "des dizaines de cerisiers" paraît plus vraisemblable
[4] Appelées localement : seute ou sotte à cochons
[5] Ces deux familles étaient les héritières des anciens seigneurs de Mauregny. La famille de Cestas a été la marraine d´une des trois cloches actuelle de l´église.
[6] C´était le maire de Mauregny