MAUREGNY en HAYE et Les Cahiers d'Histoire

Cendrières dans le Laonnois

 

Cendrières des collines est du Laonnois

 Toutes les cendrières des collines est du Laonnois ont pour caractéristique commune d'être en galeries, comme je l'ai déjà indiqué plus haut, sauf à Saint-Erme et Goudelancourt-les-Berrieux. On ne retrouve donc que les traces des entrées, avec les chemins qui y mènent et les emplacements pour stocker les cendres. On retrouve aussi quelques trous de ventilation (échaux) au-dessus et dans l'axe de ces entrées. Nous en avons fait avec mon ami Jacques Tavola une description exhaustive, recensant dixsept cendrières réparties sur quatre communes, ouvertes tour à tour ou simultanément. Le cas du Mont Héraut est particulièrement intéressant. Butte témoin détachée de la ligne de collines au nord de la route de Mauregny-en-Haye - Montaigu, elle vit se succéder huit cendrières. La première ouverte en 1758, par le seigneur de Miremont, à ciel ouvert fut remplacée vers 1775 par une première cendrière en galerie, dont le sieur Lemaistre, jeune diplômé de l'École royale des Mines fondée en 1783 fit une étude détaillée, accompagnée d'un plan en 1787. A la Révolution, le monopole seigneurial étant aboli, deux sociétés ouvrirent chacune une cendrière toute proche. Puis, les cendrières se succédèrent tout autour de la «Montagne», la dernière était encore en exploitation en 188848.

Il y eut des cendrières à Festieux (cendrières, *1805-1855), à Goudelancourt-les-Berrieux (cendrier de Belval en 1855), à Eppes (2 cendrières, * 1809-1870), à Mauregny-en-Haye (7 cendrières, * 1758-1900), à Montaigu (5 cendrières, * 1797-1900), à Parfondru (mentionné en 1805), à Saint-Erme-Outre-et-Ramecourt (1805-1830, il y a encore un lieu-dit «La cendrière»).

L'expérience accumulée dans ce travail de recherche exhaustif montre la difficulté à localiser les cendrières et à préciser leur histoire : les sources sont souvent confuses, plusieurs emplacements proches portent le même nom, les noms de lieux-dits ont changé, certaines cendrières à ciel ouvert ont été rebouchées, d'autres transformées en étang ont pu être modifiées dans leur nouvelle fonction. La carte géologique de l'Aisne est très utile, ainsi que les cartes d'état major, de 1838 à la guerre 1914-1918. La carte géologique moderne permet de préciser les zones d'affleurement du Sparnacien.

Ouvriers et propriétaires cendriers

Selon Brayer, le cendrier est le commerçant en cendres. Mais, le plus souvent, le mot cendrier est employé comme qualificatif : propriétaire cendrier, exploitant cendrier, ouvrier cendrier. Le mot mineur de cendres est très rarement employé ; en général, ces ouvriers sont qualifiés de «manouvriers» dans les registres d'état civil. Le facteur cendrier est le gérant, le directeur, à la fois technique et commercial. Au XVIIIe siècle, on parle du piqueur de mines, qui est un chef d'équipe avec les fonctions du facteur au XIXe siècle.

Importance de la population ouvrière

Il n'y a que très peu de statistiques permettant d'étudier la population ouvrière. Et celles qui existent concernent presque uniquement les ouvriers des usines vitrioliques. Les chiffres alors cités recouvrent à la fois les ouvriers occupés à extraire et préparer les cendres, et les ouvriers qui travaillent dans l'usine proprement dite. L'extraction des cendres était un travail saisonnier. La dispersion des cendrières, la variabilité de leur importance et de leur durée d'exploitation expliquent ce manque de données globales. Je ne peux donc donner qu'une idée très approximative de l'importance de cette population ouvrière.

En 1765, il y avait 30 à 40 ouvriers employés à la cendrière de Mauregny-en-Haye ; en 1808, il y en avait 100 à 120 à Urcel. En 1813, les quatre usines employaient 460 ouvriers. En 1816, il y avait 439 ouvriers sur les cendrières du département. En 1824, il y avait 220 ouvriers avec les nouvelles usines. En 1825, Brayer parle de 510 ouvriers, auxquels il faut ajouter ceux des usines de magmas. En 183749, il y a 624 ouvriers et 39 chevaux ; en 1843, il y a 552 ouvriers et 30 chevaux selon d'Archiac. Comme à cette époque la moitié de la production des cendres est pour l'agriculture, on peut estimer à 850 le nombre d'ouvriers employés dans l'Aisne. En 1847, il y a 48 ouvriers à Bourg-et-Comin. En 1869, la Chambre de Commerce de Saint-Quentin publie une statistique plus précise : 23 patrons cendriers et 142 ouvriers, dont 41 femmes, pour «les mines et les minières» (cendrières). Mais elle donne des renseignements globaux sur l'industrie chimique dans l'arrondissement de Laon : 7 patrons et 1 166 ouvriers (dont 179 femmes). Enfin, Maxime de Sars, dans sa monographie d'Urcel parle de «90 ouvriers dont 20 enfants».

Mais l'activité cendrière ne se réduit pas à l'extraction et au façonnage des cendres, il faut aussi transporter ces cendres. Cela se fait essentiellement avec des charrettes appelées «barots» ou «barous» en patois local, ou tombereaux au début de ce siècle. La voie d'eau est aussi très utilisée pour les transports à longue distance : il existait des magasins près des rivières et des canaux. A partir de 1850, on utilise le chemin de fer. On passe de tarifs à la voiture au XVIIIe siècle à des tarifs par «wagons de 10 000 kilos» en gare de Coucy-Iès-Eppes ou Urcel. Il fallait créer et entretenir des chemins d'accès. Le transport, ainsi que le stockage sont réglementés. Il est encore plus difficile de trouver des chiffres sur l'importance du commerce des cendres : il y avait à Montaigu, en 1801, quinze cendriers, dont il est précisé qu'il s'agit de petits commerçants. Enfin ce commerce faisait vivre les aubergistes : une affiche de 1770 «vante les bonnes auberges pour les voitures qui seraient dans le cas de loger en route50», et une auberge de Montaigu fait de la publicité en 1850 pour les voituriers.

Pendant longtemps, jusqu'au milieu du XIXe siècle, il y a un déficit de main-d'oeuvre. Les laboureurs craignent l'ouverture des cendrières et surtout l'installation des usines, car le recrutement d'ouvriers pour celles-ci a pour résultat l'augmentation des salaires des ouvriers agricoles. C'est un des arguments employés dans les pétitions contre les usines pendant la période révolutionnaire. En revanche, on constate que cela diminue la mendicité. Pendant les guerres de la République et de l'Empire, la conscription a enlevé beaucoup de main-d'oeuvre dans les campagnes. L'usine d'Urcel a donc employé des prisonniers de guerre. Elle en avait déjà dixhuit, elle en réclame trente autres le 16 février 1795 pour développer sa production «si utile à la République51». A Mauregny-en-Haye, Montaigu, Coucy-lès-Eppes, les registres d'état civil mentionnent plusieurs ouvriers polonais ou hongrois qui font souche en se mariant dans ces villages. L'un est «déserteur de l'empire d'Allemagne», un autre «prisonnier de guerre» ; ils resteront en France. D'autres sont peut-être retournés dans leur pays. A l'usine vitriolique de Quessy, on parle de «plusieurs Espagnols prisonniers de guerre... qui, à la paix refusèrent de retourner dans les pays et finirent par obtenir leur naturalisation52».

Quant au travail des ouvriers cendriers, nous en avons une idée à travers la liste des outils figurant dans un inventaire de la cendrière Miremont à Mauregny-en-Haye en 1783. Elle est conforme à la liste de ceux des mineurs publiée dans l'Encyclopédie Diderot, ou celle des outils des charbonniers qui comporte une «voiture à charbon» dans la même Encyclopédie. On en a aussi une idée à travers les accidents de travail : asphyxie comme à Benais, écrasement comme à Mauregny, à Ciry-Salsogne, à Mailly et à Travecy (à Mennessis, trois ouvriers sortent indemnes d'un éboulement en 1839), noyade comme à Montaigu (trois ouvriers noyés en travaillant à déblayer une galerie pour en faire sortir l'eau). Dans les usines «où les cuves en ébullition ne dépassent pas du sol» où les ouvriers circulent sur des planches, il y a des chutes mortelles dans ces cuves pleines d'acides (à Bourg-et-Comin, à Chailvet53). Pour compléter, on signale des noyades accidentelles de passants dans les mares liées aux cendrières, et même... un suicide ! (à Mauregny54).

Les propriétaires cendriers et les usiniers

Je ne pourrai ici donner que des indications générales car je n'ai pas pu étudier suffisamment de destins individuels ou familiaux. Mais, à travers l'expérience acquise avec mon ami Tavola dans un cadre géographique limité, il est possible de dégager quelques enseignements.

Avant la Révolution, ce sont presque uniquement des nobles et plus particulièrement des seigneurs qui s'intéressent à cette activité pour la mise en valeur de leurs domaines. Plusieurs sont membres de la Société royale d'agriculture, notamment des ecclésiastiques et des bourgeois (au sens de l'époque) comme Gouge. Ils ont souvent obtenu des concessions qui sont de véritables monopoles d'exploitation. Ceux-ci sont parfois contestés, comme à Cessières en 1770, par un sieur Navet qui veut exploiter les cendres dans sa propriété. On peut citer les familles de Flavigny (Suzy, Charmes, Travecy), Caignart du Rotoy (Mailly et dans l'Oise), Belly de Bussy (Beaurieux, Cuissy, Bourg-et-Comin).

Le cas de Mauregny-en-Haye est intéressant. Monsieur de Miremont est baron de Montaigu, seigneur de Mauregny et de Coucy-les-Eppes. Son épouse est une femme de lettres et d'affaires55. Non seulement, elle pousse au développement de la cendrière de Mauregny, mais elle achète des actions dans les mines de charbon d'Anzin. Son «piqueur de mines» est Claude Lorain, maçon à Coucy-les-Eppes, puis, le fils de celui-ci Jean Francois Lorain. Pendant la Révolution, le monopole d'exploitation disparaît et deux sociétés de cendriers voient le jour et ouvrent des cendrières tout à côté de celle de Miremont. Celui-ci, dont la femme a émigré, s'associe alors à Jean-Francois Lorain, qui en 1795, achètera le château de Mauregny et l'ensemble de la cendrière. Les enfants gèrent des cendrières à Mauregny et Montaigu jusqu'en 1888 au moins. Trois générations ont ainsi bâti leur fortune sur les cendrières, et nous avons pu suivre deux autres familles de Mauregny pendant trois générations.

Au XIXe siècle, on peut citer quelques familles comme Jacquemart à Quessy, Pottofeux, l'ancien procureur syndic de l'Aisne, gérant, puis propriétaire de l'usine de Chailvet et ses successeurs les familles Huriez, Brunel, Fischer, Marguerite Delacharlonny à Urcel et Chailvet. Cette histoire familiale du développement industriel mériterait sans doute d'être étudiée plus en détail et replacée dans un cadre plus vaste. Mais, même à l'échelle de l'Aisne et dans ce domaine particulier, on voit monter dès cette époque la concentration et la concurrence, la guerre des débouchés, des matières premières et des techniques, la contradiction entre routine et développement technique.

En guise de conclusion, je citerai un modeste témoignage du rayonnement des cendres noires de notre département. C'est une lettre envoyée au directeur de l'usine d'Urcel le 4 mai 1910. M. Chabrier, instituteur à Gerzat (Puy-de-Dôme) demande qu'on lui envoie : «... un petit colis de 10 kg contenant des cendres pyriteuses, régénérateur des prairies, sulfate de fer pour engrais, alun...», avec ce commentaire : «Comme c'est pour l'instruction, j'espère que vous voudrez bien me rendre ce service56».

Guy PLUCHART

Avec mes remerciements à tous ceux qui ont bien voulu échanger des informations avec moi : Messieurs Lamine, Marival, Morelle, Mademoiselle Plouvier, Messieurs Stephan et Geugnon, et surtout mon ami Jacques Tavola.

46. Deladrerie, Géographie physique et historique de l'Oise. 1886.

47. BibI. mun. Compiegne, fonds Léré.

48. Tribune de l'Aisne, 23 janvier 1888.

49. Annuaire de l'Aisne, 1837.

50. Arch. dép. Aisne, D 6 ; Maxime de Sars, Monographie d'Urcel, p. 239.

51. Arch. dép. Aisne, 1 Mi 392-393, boîtes 30 et 31.

52. Hincelin, Monographie de Quessy, p. 163.

53. Journal de l'Aisne, 20 mars 1851.

54. Journal de l'Aisne, 20 mars 1851.

55. Henri de Buttet, «Une femme de lettres en pays laonnois», Mémoires de la Fédération des sociétés d'histoire et d'archéologie de l'Aisne, 1989, t. XXXIV, p. 78 ; Guy Pluchart et Jacques Tavola, Le comte et la comtesse de Miremont, récit d'une vie seigneuriale perturbée par la Révolution ; G. Pluchart et J. Tavola, Les cendrières, op. cit., p. 39-45.
56. Archives Delacharlonny, Musée de Laon.

Fig. 8 - L' usine d'Urcel, 1908 (coll. particulière).

Fig. 9 - La briqueterie de Mailly ( Urcel), 1907 (coll. particulière


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Mauregny en Haye 423 hab. par JM Moltchanoff       

Les cahiers d'histoire de Mauregny ont été rédigés par Guy Pluchart et Jacques Tavola
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par Gilbert Delbrayelle

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